4 – Autoportraits à l’étranger

LE CAIRE

Je repris encore une respiration, une de plus, avant de pousser plus fort que les fois précédentes, concentrée et repliée au plus profond de moi, seule face à l’expérience unique de la douleur d’enfanter. Cette fois fut la bonne. Je vis alors, se reflétant dans le plafonnier brillant du bloc hospitalier, sortir de sous le drap blanc ce petit corps rougi et recroquevillé qui partit aussitôt dans la pièce attenante. Je vis aussi dans le même temps, comme une photographie précise et figée, mon visage incroyablement changé. J’avais un air grave et des yeux vifs, plus foncés qu’à l’habitude, mes joues étaient rougies par l’effort. Mon cou froissé copiait ligne à ligne les marques du drap qui retenait mon corps de tomber, de la sueur se mêlait à un peu de sang séché sur mon menton, comme des traits brossés dans l’émotion primaire d’un peintre fou. J’étais à peine sortie de ces interminables heures sombres et pourtant, de tout mon corps meurtri et fatigué se dégageait quelque chose de paisible, posé là, dans ce pays où je n’étais pas née mais qui accueillait en ce jour d’été ma progéniture. J’étais devenue mère.

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PARIS VERS CANBERRA

Je me suis vue en arrivant, dans les vitres de l’aéroport, et je me suis dit que oui, cette allure aurait changé quand je reviendrai, dans quelques années. On était en octobre et j’avais sur moi un petit blouson en laine, un pantalon confortable de voyage. Mon petit sac en bandoulière s’accordait parfaitement à mon attitude de jeune étudiante, ce léger maquillage posé là ce matin surtout pour colorer mes joues blanches et mes yeux transparents. Mon carré court de parisienne ne remuait pas quand je tournais la tête. Bientôt il serait ébouriffé, la chaleur bousculerait mes tenues, ma peau se tendrait et se salirait du sel et de la poussière australienne, et je serais heureuse, j’attendais ce voyage depuis tant de semaines.

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ROME

– Comment ils savent ? j’ai dit.

– Mais dingue, c’est pas écrit sur notre front, qu’on est français ! a répondu Stef.

On était là, assis en terrasse d’un café de la place Saint Eustache, au cœur de Rome, pas loin de l’église des Français certes, mais rien ne semblait pourvoir indiquer d’où l’on venait, tant qu’on n’ouvrait pas la bouche du moins, et pourtant… depuis ce matin, pas un passant sans nous dire « bonjour ! » pour marquer oralement une reconnaissance, une politesse, une marque de séduction à l’italienne envers ces touristes français toujours si bien accueillis.

J’avais mon jean et mes baskets, parée pour une journée de marche, un tee-shirt recouvert d’une veste légère en lin bleu et mon sac en cuir de petit format pour ne pas peser trop sur l’épaule, programme chargé. Ma casquette trônait sur la petite table ronde à côté d’un café serré, et mon sourire sur le coin de ma bouche, celui des premiers jours de vacances et de l’extase ressentie dans cette ville toujours aussi incroyable. On s’amusait de cette situation. Je n’avais pas de sac à dos à l’allemande, de queue de cheval à l’américaine, pas de longue jupe à la libanaise, ou de lunettes de luxe à la russe… les pires clichés me venaient pour essayer de saisir la clé de ce tour de magie, comme une gamine tracassée.

Je ressemblais donc à une française, sans savoir déterminer pourquoi ou comment, alors que ce devait être si simple, en me regardant d’ailleurs.

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