à vous, à toi /

Tu cherches ta carte de crédit. Elle n’est jamais là où tu aimerais : dans un petit porte-monnaie en cuir que tu aurais soigneusement rangé dans la poche intérieure gauche de ton blouson. PIG, comme tu dirais, P.IG., Poche intérieure gauche, pour retenir et savoir en tout instant où est ton porte-monnaie. Mais, non, elle n’est jamais là, ta carte de crédit. Car jamais tu ne penserais à dire PIG, ni même à détenir une poche intérieure gauche et encore moins un porte-monnaie. Ta carte se balade de jean en sacs, frôlant toujours de tomber d’une poche de veste, elle réapparait parfois coincée dans un livre ou dans un siège de voiture. Mais là, présentement, tu le sais : elle ne réapparaitra pas. Tu es à la caisse du magasin, alors ça commence à couler dans ton dos, des gouttes chaudes puis froides puis chaudes. Car tes courses posées sur la fin du tapis, elles sont bien là elles aussi. Là, comme la bande-son crachotant en boucle des promotions enjouées dans les quatre coins des rayons, tu n’entends plus que cette fausse musique qui s’étouffe dans ton crâne au fur et à mesure que tu cherches. D’ailleurs, tu ne cherches plus rien en fait, tu réfléchis à comment te sortir de cette impasse. Tu lèves les yeux sur la caissière, elle te regarde fixement.

Vous portez des lunettes aux verres bien épais, mais cela ne suffit pas à mettre une distance entre vous et ceux qui défilent devant votre siège. Pire, vous les voyez mieux encore. Les grincheuses, les radins, les alcoolos du dimanche, les mamans sous l’eau, les enfants sous les mamans, les jeunes qui partent en piste, les blagueurs, ceux qui recomptent leurs centimes… Et ce jeune homme-là maigrelet et inquiet. Vous l’observez, et jetez un œil à ses courses. Vous les avez bien manipulés entre vos mains habituées, vous les avez vus il y a quelques minutes et même bipés, mais vous ne les avez pas regardé, ça non, ce serait trop d’information à traiter, et : à quoi bon. Vous préférez garder votre pensée à rêver. Surtout pas à vous répéter : 6 litres de lait, bip, une salade verte, bip, une brosse à dent, bip…. Toute la journée. Non vous préférez vous récitez des histoires, dévorées la veille sous votre lampe de chevet. Des histoires de chevaliers, de rois corrompus et de pouvoirs déchus. Mais là, ce matin, vous regardez les courses de ce jeune homme. Du papier toilette, un kinder surprise, de la ficelle, du scotch, des noodles, une casserole, du sucre, du produit lave-vitre… Vous avez le temps de tout détailler, en clignant des yeux, avant de vous retourner vers lui. Il est livide. Blanc comme son t-shirt premier prix, un pull marin solide autour de sa taille fine. Vous n’arrivez pas à lui donner d’âge. Autant il pourrait avoir 18 ans, autant 32 ne serait pas si étonnant. Ses yeux sont scotchés au sol et les lèvres qui lui traversent le visage sont si pincées que vous diriez qu’il se retient depuis toujours de respirer.

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