Bobines de bobines

… des bobines, nos bobines, nos bobines sur l’écran perlé déroulé, des heures et des années, des heures de visionnage, visionnage de bobines, bobines de tous les âges vingt-cinq années durant, rubans sombres perforés latéral, Super 8 capricieux le ruban se bousculant, vrillant impromptu comme une phrase dans la bouche, une pensée dans la tête puis reprenant son cours ; bobines de nos bobines, ronron du projecteur-maison, ses défaillances, celles des bobines aussi, tandis que maîtrisée la patience de leur projectionniste ; tout aura compté, tout, sans compter les heures impossibles à compter, heures de respirations profondes, heures de la main glissée dans la dragonne, des heures à engranger, l’œil collé à l’œilleton, contre-jour, surexpositions, black-out, le projecteur s’emballe à moins que la bobine, à moins que le ruban, chauffe, surchauffe, rien ne va plus, alors, pause et tranche de cake bien monté sorti de dans le four — un peu brûlé au fond, le cake… et redépart du projecteur, de la bobine et du ruban soigneusement recranté, tout respirant à nouveau ; des heures passées à visionner, visionner tout petit sur une visionneuse avant d’entamer les coupes – cruelles, les coupes – coupe, coupe, couper à contre-cœur comme l’on jette à la corbeille les mille morceaux d’une photo floue, coupes et montages, collages et recollages, coupe, coupe, couper encore et ne garder que le meilleur – pour qui, le meilleur ? quoi, le meilleur ? lesquelles de nos bobines, de nos bouderies, lesquels de nos rires, de nos regards surpris en pleine rêverie envolés avec cette exigence-là ? de ces temps clairs, combien d’heures et de minutes sacrifiés au meilleur ?  combien de temps volé au temps ? heures de ces bobines-là,  des heures amateurs dévidant, déversant leurs images, images de nos bobines, bobines enfin libérées d’avoir à composer, tant chargées déjà de sols et de langages qu’aujourd’hui la mémoire et le cœur en débordent encore de ce temps retrouvé attendant patiemment son heure dans la resserre de la chambre bleue…

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