Tu la tiens contre ta poitrine, petite poignée prête à ouvrir une porte de l’âme, alors que c’est fini, le feu des braises a bien glissé en dehors de ta vie, ne reste plus que le manche, l’élégance d’un bâton de réglisse qu’on grignote sous l’arbre à palabres, et ça enfle en toi, le sirupeux mélange de glycérine et douce nicotine à 6 mg, ambre coyote entre les doigts, serrent contre les lèvres une substance de fumée, toujours quand tu marches, les doigts pianotent sur le plastique, le cliquetis se déclenche quand tu tires la flamme invisible, insufflant le pus du jour, comme cela tire en toi, le fouillis de souvenirs où tu revois les autres, quand tu marches immobile dans ta tête, avec ce flux de silence impossible à approcher comme un monde tenu à distance, comme rien qui s’approche ou te réclame une taffe, ce n’est plus possible, Sganarelle serait mort de solitude. Alors faut y chercher l’âme d’un miel, la silencieuse abeille qui fleurit dans l’œil de pierre, un instrument défunt, ce qui s’en suit de la pensée qui se cache et s’éteint vite, car rien ne circule plus que du regard, plus de pensées ni chuchotements, alors que le goudron, ce ronflement gris électrisant les nerfs, c’était un feu de brousses dans le désert, le poumon chaud d’une créature, un apologétique, un autre genre, toute une cérémonie. A présent, devenu chat historiographe, tu fais grésiller les doigts, sans plus de pleurs ni d’échauffements, en fait tu as tout oublié. Le goudron ne racle plus la gorge, plus de levier, tam-tam dans le sang, plus d’énergie libérée, d’essor complexe et ravivé, tu fais le fou à contrecœur, réclamant le calme qui dissout tout. Le feu, tu le retrouves dans ce liquide saumâtre que tu composes seul, à l’aide de petits bidons d’huile et de saveurs. La menthe pour passer le temps, pour qu’il mérite d’être passé, sans raccourcis, un temps pour y poser le son, du goutte à goutte dans un chant vert, mais aussi la framboise acidulée, son sucre asiatique un peu hirsute, qui fait rire quand les autres se dissipent, la framboise se dévoue pour animer la conversation, tandis que tu dunes et tu pilates dans les fleurs de cerisiers, et l’orange aussi, plus crue, plus difficile à retrouver, son brâme d’opale un peu crispé, la calèche des souvenirs qui galope en enfance, l’orange c’est tout un territoire, un parfum qu’on laisse fondre sous la langue, un fruit de neige et de noël, quand il fait froid tout au fond, et puis il y a la pomme, la plume dorée en surface qui gonfle dans la gorge, presque un ballon, le goût de pomme, fait sa danseuse obsolescente, gitane maigre, devineresse, voleuse de gigots, la folle hardie qui boit à la surface des nénuphars, qui fabrique des désirs, qui donne envie de fuir, et c’est la pomme encore, qui ouvre un pétillant, avec ce doux sulfure qui broie les mauvais gags de la vie, tu tombes en son parfum comme on ose fermer les yeux en plein jour, au beau milieu des bruits, des vélomoteurs, des cris de gosses, et puis elle t’emmène là où tu t’enfermes encore pour fumer en douce, les yeux dans le pare-brise qui te renvoie la vie des autres, ceux qui finissent par se diluer aussi, dans l’exhalaison du bruit, et l’extinction du bruit moderne, pour enfin retourner dans l’antique, sous l’arbre à palabres, et le remous des mers quand il n’y plus personne pour te regarder t’éteindre.
Comme toujours, que j’aime ce que tu écris Françoise
la fumée cette vapeur qui ouvre des chants d’arômes