Je ne remercierai jamais assez

Je ne remercierai jamais assez la campagne de mon vieux Finistère, les boîtes de nuit fermées au beau milieu des champs, les foins remplis de pluie qui vont pourrir demain, les pieds dans la gadoue et les secrets de pluie qu’on siffle toute l’année,

Je ne remercierai jamais assez les Monts d’Arrée, noirs d’incendie, rêches de fougères, isolés comme on isole un clan, un taureau fou, un chien malade, ces monts-là qui me firent tant aimer les villes, les sentiers tordus dans une offrande de boue, les doigts effrontés sur les cheveux qui flanquent encore de l’eau jusque dans tes rêves, les cimetières glacés, les chapelles en ruines entretenues pour faire peur, pour le rebond des émotions

Je ne remercierai jamais assez l’amour qui fut perdu qui fut fugace, puis s’ancra loin dans les prières, ces histoires de désir qui font peau neuve, les courses hirsutes dans les rues

Je ne remercierai jamais assez les rames du RER qui font tanguer pendant des heures, debout dès six heures, les rames bondées, les écharpes dans le cou du voisin qui tombe dans son livre et dans son sac à main, les rames bondées de pluies qui flagellent les portes ouvertes, rer C, rer B qui filent à vive allure d’une banlieue grise à banlieue blues, d’une banlieue chic à fanfaronne, d’une banlieue souple à grande riade, les rires par-dessus les têtes, et les mouvements sociaux tout le monde descend

Je ne remercierai jamais assez les mouvements sociaux et les chemins finis, c’est terminé, tu peux poser la charge tu peux pestiférer, les téléphones sortis faut prévenir le patron, on peut sortir les clopes et puis la déconnade, enfin lever le pied fais pas de leçon mon gars, on en a plein la marmelade

Je ne remercierai jamais assez les grèves à 5h du matin quand on allait, pour nos retraites, faire le pied de grue aux dépôts de bus du centre de Pantin, mine de rien on était une bonne trentaine en 2005, fallait se fâcher et dire très fort la cantonade on va pas s’laisser botter l’arrière-train par des chefs qui s’en mettent plein les fouilles, on rédigeait des tracts pour nos retraites, on partageait nos gobelets en plastique avec du bon café fumant, et puis c’était direct on en avait d’la peine et c’était du sérieux, on allait bloquer les péages autoroutiers parce que certain, on s’imaginait qu’un jour on pourrait tout refaire et remercier la vie, soigner nos électrochocs avec l’bon vin des compagnons, vive la révolution

Je remercierai jamais assez les tracts dans les cafés, la chaleur qu’on s’faisait tous, avec des bras des bousculades plein la mangeoire, et des Santé ma Drôle !, de gros bisous tabac, les dents rongés par la nicotine, le sang bouillabaisse, le sommeil oublié mais le cœur frais planté

Je me remercierai jamais assez tous les cœurs frais plantés, bien trop rêveurs, apostrophistes, déambuleurs, mal fagotés et tout en larmes bien trop souvent, je bois à ta santé mon frère au bout du grand chagrin, la vie dure bien trop farceur, mais c’est leur joie qui fait chanter les rues et battre la campagne

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