2 – Le temps imparfait : revenir

Dans sa grande cuisine ma grand-mère, tirée à quatre épingles, portait toujours un tablier jaune en lin épais, qui semblait pouvoir résister à toutes les recettes du monde. Je m’applique à retranscrire chaque geste, à respecter chaque étape de ma mission. Je renifle la farine, je mesure le temps du batteur, les grammages exacts. Je créé une porte du temps d’où surgit mon plat final et parfait.

La famille réunie chantait entre chaque plat avalé, entre chaque verre creusé, et chantait encore jusqu’à la nuit. Le silence retentit dans la maison retrouvée. Il ne dit rien. Il dit l’immensité du vide. Je regarde le jardin abandonné et je pleure le temps ancien.

J’ai toujours détesté cet endroit où rien n’était autorisé et où tout était froid. Le soleil éclaire l’entrée d’un jour nouveau alors que ce lieu est désormais vierge de son passé. J’emprunte les couloirs, je revisite les deux salons. Je me surprends à caresser le tissu du canapé, le bois de la bibliothèque. Je me défais de l’interdit en même temps que de mon enfance.

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