Vous pensiez qu’il disait ça comme ça, histoire de dire quelque chose, se donner une contenance. Vous n’en croyiez rien. D’autres avaient dit la même chose dans les mêmes circonstances et puis quand la progression du mal les avait renvoyés à leur promesse, quand ils s’étaient vus au pied du mur de la décision… vous aviez constaté que la vie était plus forte que tout. Quand leur corps ne leur appartenait plus, ils s’accrochaient à ce qu’il en restait. Vous pensiez que lui, il en ferait autant, qu’il dirait oui après avoir dit le contraire et qu’il s’attacherait au fil ténu qui l’accrochait à la vie. La vie même en fauteuil, sans pouvoir parler, sans possibilité de se nourrir… mais la vie tout de même. Une vie de roues pour avancer, de tuyaux pour s’alimenter, d’applis pour communiquer. Et bien non ! Son non n’avait pas bougé : vous l’aviez entendu, retenu, aviez voulu l’oublier mais pas lui. Il avait arrimé ce NON à son âme et toutes les forces de la gravitation n’auraient rien pu pour l’en détourner. Vous ne lui en disiez rien pour lui laisser le choix, la force de choisir, de dire NON à une vie que vous saviez comme lui vouée à une issue fatale à court terme. Vous le saviez décidé, résolument déterminé à ne pas vivre sans autre projet que celui qu’il s’était fixé. Vous lui aviez accordé cette ultime liberté de décider de quand il fixerait son terme. Vous le regardiez à la fois impuissants et fiers tracer à la craie blanche le trait de la marelle qui l’amènerait aux portes du ciel. Un ciel que toute sa vie il avait dédaigné en bon athée qu’il était. Et vous, vous espériez peut-être qu’en approchant du terme, il renouerait avec la foi. Non, non, il n’avait pas bougé de ce NON et vous aviez dit OUI à ce NON.