Tiens. Il n’y a pas de miroir au plafond dans ce train. Il n’y en a plus depuis quelques années. Je ne sais pas à quoi ils se destinaient. À part contempler ses congénères discrètement. Il suffisait de lever les yeux. Juste les yeux. Sans bouger davantage. Surtout pas le visage. Pas une épaule. Pas le menton. Lever les yeux. Alors l’imagination s’exerçait seule. Inventer vos trajets. Fantasmer vos personnes. Deviner vos métiers. Vous rejoignez l’être aimé. Vous un collègue exaspérant. Vous un rendez-vous déterminant. Vous une fuite en avant.
Vous étiez pressés ce matin. Vous pas du tout. Vous viviez votre énième routine ferroviaire. Vous étiez blonde. Vous étiez beau. Vous étiez chauve. Vous étiez soucieux. Vous étiez fermée. Vous étiez radieux. Vous regardiez le paysage défiler en pleurant. Votre histoire était mon paysage. Je m’attardais. Puis le drame arrivait. Toujours par accident. Dans ce miroir au plafond. Le croisement d’un regard.
Je fuyais toujours fissa façon de dire je ne vous regardais pas. Fuir. C’était juste replacer mes yeux. Tout droit. Là où ils devaient être. Allez. Regardez-moi à votre tour. Dans ce plafond. Vous voyez bien. Je ne vous regardais pas. Pas du tout. Détrompez-vous. Je suis là. Sage. Indifférente. Et vous sans doute présomptueux.
Ce moment là était tout un art. Ce moment du croisement. Le sursaut devait rester interne. Le visage immobile. Je cachais cette pointe d’adrénaline. Le zeste de citron fusant de la nuque au bout des doigts. Je transpirais un peu. Mais je ne bougeais pas. Je feignais parfaitement l’indifférence. Puis je finissais le trajet en me demandant pourquoi diable ces miroirs existaient.