Dans quelles pensées les touilleurs de café sont-ils absorbés ?

Hypothèse 1. La tentative de se réveiller

Celui-ci aura peu dormi, à peine rentré du bureau il aura enfilé son habit préféré et se sera retrouvé dans son bar préféré.

De fil en aiguille, il aura retrouvé ses partenaires de folie, en aura rencontré d’autres, aura parié tenir plus longtemps que les potes, aura voulu se perdre encore un soir pour oublier et aura bu quantité d’alcool jusqu’à plus soif.

Il sera rentré titubant, se sera demandé dans quelle ville il habite, aura erré de rue en rue, aura chanté à tue-tête et en aura sans doute réveillé quelques-uns et quelques-unes.

Il aura même vomi dans un caniveau, prenant une moufle abandonnée pour un rat d’égout, aura suscité la peine, l’horreur, le malaise ou pire encore.

Il aura ri de croiser son reflet froissé dans une vitrine et se sera souvenu qu’il habitait à l’opposé.

Il aura marché, marché et marché encore, peut-être même aura-t-il couru, et se sera acharné sur sa serrure pour y rentrer la clé une fois le domicile retrouvé.

Il n’aura pas pris la peine de se dévêtir avant de s’affaler, n’aura pas eu à régler son réveil, qu’il aura programmé à l’avance depuis son premier jour d’embauche sachant déjà qu’il n’aurait plus jamais envie de s’en préoccuper.

Il se sera finalement endormi, aura ronflé et peut-être eu envie de se lever pour aller pisser, il aura finalement renoncé et se sera réveillé comme souvent, en sursaut au son du bip-bip-bip, défait et mal reposé.

Il aura sauté dans la douche, pris ses affaires et ses clés en vitesse et sera venu dans son bar quotidien, prendre son café quotidien. Il aura répété ce geste mille fois en essayant de rester éveillé, en se demandant pourquoi, ce qu’il fait là.

Hypothèse 2. L’envie d’ailleurs

Elle aura eu envie de s’accorder une pause, seule, pour réfléchir. Elle aura longuement marché, tout essayé, les parcs, les rues, les boutiques. Elle se sera sentie lassée de son train-train quotidien, les mêmes trajets, les mêmes transports, les mêmes stations et même les mêmes personnes. Elle aura essayé de se faire des amis, rencontré du monde et même l’amour. Elle aura rêvé d’un exil, de partir loin, de trouver le boulot de ses rêves dans un pays de rêves. Elle aura pensé à ces histoires de nouvelle vie, réussies ou racontées, elle aura espéré vivre la même chose. Elle se sera comparée ou se sera identifiée à une forte figure qui aura osé. Elle aura voulu essayer, ne serait-ce que tenter d’approcher l’idéal en cherchant et cherchant encore vers où se tourner. Elle aura finalement craqué, se sera acheté cette petite paire de chaussures déjà repérées, puis se sera arrêtée devant cette terrasse, s’y sera posée pour prendre un café bien mérité. Elle aura fait le point sur ses envies, un petit bilan de sa vie et puis elle se sera reprise et redevenue philosophe, peut-être n’aura-t-elle ces petites crises que pour, finalement, s’estimer être là où elle devait être. Car, à bien y réfléchir, elle aura tout essayé. Ou presque.

Hypothèse 3. Le rendez-vous manqué

Il aura finalement quitté le lieu du rendez-vous et sera venu se réfugier au chaud avec un bon café. Il aura attendu plusieurs heures, aura essayé de le joindre plusieurs fois, aura cru le reconnaître en plusieurs passants.

Il se sera demandé s’il ne s’était pas trompé d’endroit, de date, d’heure.

Il aura tout retourné dans tous les sens, repensé aux échanges, aux éclats de rire, aux yeux qui pétillent de se sentir complices. Il aura cherché où il avait pu faire erreur, où il aura cru à quelque-chose, où il se sera inventé une histoire.

Il aura eu envie de fondre sur place, en même temps que le sucre de son café, il aura été tenté de faire tinter la cuillère au crissement de sa tristesse, il aura senti les larmes lui monter aux yeux et les aura péniblement retenues – un homme ne pleure pas, et encore moins en public. Il aura haï sa vie, sa naïveté, la société, les êtres humains. Puis il aura décidé d’avaler son café, et de rentrer. Il aura choisi que la vie devait continuer.

1 thought on “Dans quelles pensées les touilleurs de café sont-ils absorbés ?

  1. J’aime ce mot, ce groupe de touilleurs de café… et je pense tout à coup à ce tableau de Hopper, intitulé Automat, cette femme seule avec ses pensées, au dessus d’un café – sans doute l’aura-t-elle longuement touillé aussi ce café… merci pour cette image remontée avec ce mot.

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