4 – Autoportrait d’un étranger

Le lit blanc surélevé, les guirlandes pour faire genre, vacances décontractées alors que tu es enfermé, cellule aseptisée 318, couloir de gauche deuxième étage, hôpital d’Aubervilliers. Le lit blanc surélevé, les oreillers agréables, donneraient envie de consacrer sa vie à la lecture, aux voix, aux émissions de radio, aux séries télé parfois, jamais au téléphone, surtout voir, voir des livres et des photographies. La tête en arrière, je découvre mon reflet à la Bacon sur la barre métallique qui relie les néons au long piquet qui porte vaillamment mon sang comme une lance, et le jus de pomme qu’on y fait descendre au compte-goutte. Je regarde ce visage qui, grossi au 5 millième, paraît démesuré, une dune de désert, une peau triste et délabrée, les fougères démultipliées des rides et des sillons, le nez énorme qui mange le centre du visage, j’ai le nez énorme de la lignée de mon père, les gitans manouches aux doigts agiles, guitaristes saltimbanques, ce que je préfère c’est chanter, chanter comme Kari Bremnes, chantonner là où ça vient, le désir de s’en remettre à la voix, partir dans les aigus, inventer des lignes mélodiques, fureter dans les ombres, se dévaler des pentes, marcher sans rythme et sans idées. Courir plutôt, louvoyer, danser des hanches, progressivement la tête, le bout des bras, le chant fait sédiment, pousse et souffle dans les terminaisons nerveuses. Les grandes oreilles je les ai récupérées de la lignée du père, et la bouche ample, et les yeux attaqués, trop empreints d’émotion qu’il convient de cacher derrière des lunettes grossissantes, comme un strabisme qui fait pivoter le regard et le déporte sur la bouche, moins inquiétante qu’un regard trop fixe presque gênant dans sa grimace de désespoir, je préfère la bouche comme une terre, ma terre d’accueil, mon île invertébrée, ma joie profuse et mon royaume, j’aime y planter des chants jazzy, désordonnés sans suite, paniers d’abricots, figues tordues et des histoires, même si, cela peut se produire, le non épuisement, la non débâcle de la voix qui resterait à l’intérieur de crainte que la houle ne dévaste tout, même si, quand le courage d’agir survient, se mettre au piano, travailler des accords, et chanter par-dessus, des choses antédiluviennes sur des partitions de Bach. Même si, un peu les chœurs de Michael Nyman dans Prospero’s Books.  

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