2- Trop proche

Hier matin, je me levais avec la tête chargée d’un feuillage puissant, l’arbre a toujours collé à la maison, il faisait sombre, mes os étaient secs et glacés, je les posais un à un sur le drap et prenais une bonne heure à les recoller par morceaux. Un froid intense prenait toute la cuisine et ce que j’ai toujours fait pour me réveiller tout à fait : allumer les brindilles dans l’âtre, souffler doucement, regarder rougeoyer les braises, et lentement, comme si tous les gestes étaient chargés d’eau, poser la casserole en fin aluminium sur les flammes, et attendre, attendre de percevoir le léger grésillement de l’eau qui se met à gicler sur les bords. Quand l’eau chaude, presque brûlante, s’est mêlée aux graines de café lyophilisé, l’odeur soudain a pénétré tout le visage, l’odeur jusqu’au fond des yeux. Je humais la vapeur noire et la fenêtre se couvrait de buée près de la tasse. La chaleur rentrait dans le ventre et s’élançait dans deux directions opposées, des jambes au buste, des chevilles au lobe des oreilles, et tout prenait forme : la chevelure braisée du grand chêne, les buissons sauvages, les vieux framboisiers gorgés de pluie.

Ce matin, une chaleur moite remplit les draps, l’odeur de moquette récemment champouinée rentre sous la peau, donne envie de vomir, les radiateurs brûlants consomment cette exhalaison de renfermé, encore une odeur de métal près de la lampe, la couleur endormie de l’ampoule, et la vaste flemme qui pénètre les jambes, mon corps bancal sorti au forceps du halo de la lampe. Je m’habille avec peine, les membres endoloris. Le miroir me renvoie un drôle de visage blême qui ne semble pas m’appartenir, j’ai soif. Je rassemble les fringues sur le lit, elles sont tachées de cambouis, légèrement puantes, il faut en changer, je réalise vaguement que je n’ai quasiment rien ramené, mais qu’est-ce qui me prend de vouloir aussitôt refermer la valise. J’inspecte la douche : je n’ai pas l’habitude de me refroidir le matin, c’est à la tombée de la nuit, avant le dîner, que je me jette sous l’eau tiède, quand l’énergie nécessaire peut accuser le froid. Ici, rien ne me tente : les robinets en inox, le rideau de douche, la propreté glaciale du lieu. Je claque la porte de la chambre. Le couloir est immense, moquette marron infinitésimale. Quelqu’un joue du hautbois dans la 112. Il doit préparer un concours d’entrée, je me dis. L’ascenseur géant fait un pan de mur entier. J’ai presque mal à l’intérieur. En bas de l’immeuble, niveau moins deux. Une petite salle renfoncée sans fenêtre accueille les clients. J’avale un café fabriqué par la machine, il est fort, me tord l’estomac. Un croissant, pour justifier intérieurement d’avoir bien payé le petit déjeuner. Au dernier moment, j’embarque quelques tartines, du beurre, du fromage fondu, histoire de prévoir les sandwichs à la mi-journée. En revenant à la chambre, mon corps endolori s’adosse au mur du couloir. Je relève mes manches, décide de me laver. Sur les avant-bras, des hématomes, une sorte de tendinite à l’arrière du coude. Et tout d’un coup ça me revient en plein visage : hier soir, je me suis battu.

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