Dépaysement 1 Choses qui manquent à Tunis

Le vert

Ici à Tunis, mille nuances de bleu et de jaune se côtoient, et pourtant rarement il se mélangent. Les  massifs de bougainvilliers en présentent bien quelques traces, effacées derrière leurs grappes de fleurs aux teintes éclatantes. Ici, le vert s’affiche surtout sur les portes des mosquées : il paraît que c’était la couleur préférée du prophète. Il n’aura pourtant pas incité à planter des arbres : le reste du paysage est minéral, et l’air sent la poussière chaude. Même les légumes arborent des nuances ternes et rabougries. Je rêve de laitues croquantes, brocolis juteux, d’une grande goulée de chlorophylle et du vert partout dans mon regard.

Le bon pain

Je n’avais pas conscience auparavant du luxe de connaître des produits de qualité, même dans une simple miche de pain. Le craquant de la croûte, la miche dense et moelleuse, aux parfums de miel et de levain, impossible de les dégoter dans les rues de Tunis. Ici la farine est subventionnée par l’Etat, mais elle génère du pain insipide, pauvre en nutriments, qui se déssèche quelques heures seulement après cuisson. Une grande partie termine emballée dans des sacs plastiques devant les portes, alors à quoi bon ? Ils sont parfois ramassés par les fabricants de panures et de gressins, que l’on peut racheter dans les rues pour quelques millimes… si on a l’estomac bien accroché.

L’Océan

Je n’ai aucun mal à croire que la mer Méditerranée est la plus polluée du monde. Pour moi, c’est une soupe tiède dans laquelle macèrent de vieux déchets, de l’huile de moteur, et les corps de nos frères morts dans leurs bateaux de fortune. Elle me dégoûte tant que je n’y trempe même pas un orteil. Seule sa beauté lointaine m’émerveille. Rien à voir avec la brise iodée de l’Océan, la fraîcheur de ses vagues revigorantes, son écume immaculée et ses couleurs changeantes, bleu, gris, vert céladon, au petit bonheur du temps, pour notre émerveillement.

L’humour

Les Tunisiens étant en grande partie francophones, les premiers temps, on s’accomode des menus échanges, on se délecte de l’exotisme de leurs tournures, de leur usage d’expressions désuetes. Et puis on se rencontre, on sympathise, on souhaite approfondir la relation, plaisanter, et on prend confiance et tente au bon mot ou un soupçon de cynisme. Et là, c’est le drame. Le message ne passe pas, le code est rompu, personne au bout du fil. Alors on rétropédale, on revient à des échanges plus lisses, à des manières plus universelles, l’usage du compliment, le recours à la générosité. C’est agréable et reposant, certes, mais il manque pour moi l’ironie, qui fait le sel de la conversation, et entretient la complicité. La connivence sera t-elle un jour possible avec l’ancien colonisé ?

2 thoughts on “Dépaysement 1 Choses qui manquent à Tunis

    1. Oh, il y en a, c’est sûr… mais j’ai ressenti cet écart. Est-ce qu’il relève d’un réel décalage culturel, un manque de références communes ou une façade face au Français… peut-être que ce sujet nécessite plus de nuances en effet !

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