Souvenir de sourire

L’objet n’est pas encore là. Il ne sera là que lorsque les volets de la maison d’enfance seront clos pour toujours.

Pourtant on aimerait bien l’avoir en main. On souhaiterait juste poser son regard dessus, oui c’est cela juste le caresser du regard comme quand il y a longtemps, la première fois qu’on l’a eu en main, on a entendu : « il est pour toi. » Il a entretenu tant de rêves.

Mais aujourd’hui, il n’est toujours pas à soi. La mort doit frapper avant qu’il ne soit à soi.

Alors il faut le rêver, s’en souvenir. Les souvenirs embellissent ou détruisent tout.

Et si, à l’endroit où on le retient en captivité, un malencontreux accident domestique l’avait fait chuter et qu’il ne soit plus. À aujourd’hui, on n’en aurait rien su. Le doute s’insinue tout à coup. On ne le saura que quand la grande faucheuse sera passée. À moins, d’oser demander. Mais il faudrait plus de deux mains pour oser poser la question.

Il y a, réfléchissons, plus de vingt plus près de vingt-cinq ans qu’on ne l’a pas regardé, qu’on a pas passé délicatement sa main dessus, qu’on n’a pas entendu au fond de sa tête sa voix.

Oui, un objet est inerte mais il peut à parler à celui qui le désire si fort. Il peut raconter son histoire. Il peut prendre la voix de celui qui souhaitait qu’on en devienne le gardien.

Derrière chaque objet, il y a un homme. Non, plusieurs hommes. Celui qui le fabriqua, celui qui l’acheta, celui qui l’offrit, celui qui le posséda, celui qui le légua.

Derrière cet objet, il y a, dans les souvenirs, l’homme à l’éternel pardessus gris, au chapeau en feutre qui laissait échapper une chevelure blanche. Il reste le souvenir de pigeons auxquels il lançait des graines par la fenêtre de son appartement qui donnait sur la place Ducale. Il reste dans l’oreille son rire. Il reste aussi le souvenir de le voir monter sur le ring dans la salle mythique de Gouloumès, pour arbitrer son dernier combat.

Après il y eut l’objet, remis précieusement « il est pour toi » mais il n’était pas encore tout à fait pour soi.

L’objet, un gant de boxe dans le creux duquel il a été moulé un cendrier. Oui, l’homme était un grand fumeur. Sur toutes les photos de lui, dans l’album de famille, il a la cigarette à la main ou à la bouche, au coin de son éternel sourire.

Il y a quelque chose de graver dessus, juste à côté du lien qui entourait le bras du boxeur qui l’avait porté. Mais trop loin, plus de mille kilomètres, pour déchiffrer l’inscription.

Et si ce gant avait été porté par Marcel Cerdan. Dans la légende familiale, Tonton Paul aurait arbitré un des premiers combats de Marcel Cerdan.

Ne pas cesser de rêver avant de le tenir en main.

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